Le problème des retraites

mardi 15 juillet 2003
par un économiste, ancien militant syndicaliste

Le système français de retraite présente les caractéristiques des systèmes continentaux de protection sociale. La France est loin, bien sûr, d’être le seul pays à pratiquer le système de la répartition (mis en application en 1941) mais nulle part ailleurs qu’en France, on n’a jamais envisagé de systématiser le monopole des régimes de répartition, de l’étendre obligatoirement à des caisses de retraite complémentaires, de l’imposer à toutes les catégories de la population, — notamment aux couches aisées, mais aussi aux travailleurs indépendants (ceci au détriment des facultés d'autofinancement des entreprises individuelles) — comme c’est le cas dans notre pays.

La France s’accroche à son système, géré par les “ partenaires sociaux ”, représentants de ceux qui cotisent et bénéficient du système. Il est d’ailleurs d’autant plus fragmenté que les différentes catégories professionnelles existantes ont tenu à conserver leur propre régime de retraite !

C’est dans ce contexte particulièrement délicat que sont intervenues différentes réformes. Lorsqu’ils ont été instaurés en mars-avril 1941, les régimes français de retraite par répartition faisaient l’objet de vrais débats et le Front Populaire avait renoncé à les instituer. À l’époque, cette promesse de “ retraites des vieux travailleurs ”, reprise à leur compte en 1945 par les nouveaux gouvernants, concernait 1 million de retraités.

Aujourd’hui les régimes de retraite couvrent plus de 12 millions de personnes et pèsent d’un poids considérable dans l’économie française. Quant aux dépenses de retraite, elles représentent à l’heure actuelle 11,6 % du produit intérieur brut.

Le nœud des différentes réformes est, en fait, l’adaptation des régimes de retraites aux évolutions démographiques et économiques de notre pays, ce que chacun sait d’ailleurs depuis la publication en 1991 du Livre Blanc de Michel Rocard qui fut le premier à dénoncer le déséquilibre des régimes de retraites.

La réforme de 1993, l’échec de 1995

Au cours des années 1980, le financement des retraites à venir est devenu un enjeu majeur en France et chacun a pris conscience, à sa manière, de la gravité de l’enjeu.

1. La réforme Balladur

En 1993, alors que la situation de la sécurité sociale semblait dramatique, le gouvernement Balladur adopte une réforme des retraites du régime général des employés du secteur privé de l’industrie et du commerce. Cette réforme modifie le mode de calcul des pensions de retraite pour les salariés et fixe le montant des pensions en référence aux salaires des vingt-cinq meilleures années. Elle établit également que pour toucher une pension complète, il faudra avoir cotisé 40 ans au lieu de 37,5 ans auparavant. Enfin, elle resserre le lien entre cotisation et prestation.
Cette réforme avait cependant prévu de séparer ce qui relève de l’assurance sociale et ce qui relève de la solidarité, en créant un “ fonds de solidarité vieillesse ” (FSV) finançant les prestations pour les retraités qui n’ont pas suffisamment cotisé.
Quant aux partenaires sociaux, ils ajustent le système des retraites complémentaires obligatoires (AGIRC et ARRCO) en relevant les cotisations sociales.

2. Le plan Juppé

Deux ans plus tard, en voulant étendre aux salariés du secteur public la réforme Balladur, Alain Juppé déclenche des grèves massives qui sont décidées, dès le 23 novembre, dans la fonction publique et les entreprises publiques (SNCF, RATP, EDF-GDF) et d’importantes manifestations se multiplient jusqu’au 22 décembre 1995. Le projet, élaboré sans concertation sociale, est retiré face à l’ampleur du mouvement social.

3. Les rapports de Jospin

Entre 1997 et 2002, le gouvernement Jospin refuse les risques d’une crise sociale et n’entreprend pas de grande réforme du système de retraite. En revanche, il multiplie les rapports.

Le rapport Charpin (29 avril 1999) préconise de réformer le régime général pour allonger à 42,5 ans la durée de cotisations nécessaires pour obtenir le droit à une retraite à taux plein. Il propose également d’aligner le sort des fonctionnaires sur celui des salariés du secteur privé. Autant dire qu’il ne fait pas l’unanimité !

Autre son de cloche avec le rapport de la fondation Copernic publié peu de temps après et qui, lui, conteste l’idée d’un choc démographique pour les retraites ainsi que l’interdit qui semble peser sur toute nouvelle augmentation des cotisations de retraite. Par ailleurs, les auteurs de ce rapport soulignent que le vieillissement de la population qui menace le système de retraite signifie également une baisse du nombre des enfants, des jeunes, et sans doute des chômeurs, et donc des dépenses sociales qui leur sont consacrées.

En complément de ces deux études totalement opposées, deux autres rapports verront le jour et notamment le rapport Teulade (discrédité depuis à cause des déboires du Complément Retraite de la Fonction Publique (CRFP) et de son organisme de gestion, la Mutuelle Retraite de la Fonction Publique (MRPF) qu’il présidait), qui conteste l’idée d’une augmentation de la durée de cotisations dans un contexte de fort chômage et de faible taux d’activité des personnes âgées de plus de 50 ans, mais proclame que les Français auraient tort de s’inquiéter pour leur retraite.

Face à cette avalanche de rapports et d’études contradictoires, le gouvernement Jospin s’est bien gardé de trancher. Il a simplement montré son intention de consolider les régimes de retraite pas répartition. Quand il a voulu reprendre la réforme des régimes spéciaux de fonctionnaires et parlé notamment d’un allongement progressif à quarante ans de la durée de cotisations nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux pleins, les syndicats de fonctionnaires se sont immédiatement mobilisés contre ce projet !

Le Conseil d’orientation des Retraites (CDR) mis en place en avril 2000 n’a pas davantage permis d’atteindre le consensus attendu par tous. Si Lionel Jospin n’a pas trouvé le compromis idéal, le patronat, pour sa part, a dû affronter la fronde des syndicats et de la population quand il a voulu imposer un allongement de la durée de cotisations pour les retraites complémentaires.

4. La réforme Fillon-Rafarin

Pour sa part, le gouvernement Raffarin, via le projet Fillon, en discussion favorable au Parlement, a réussi à faire voter l’allongement à quarante ans la durée de cotisations nécessaire pour que les fonctionnaires puissent bénéficier d’une retraite à taux plein.

Dans le débat actuel, il est salutaire que l’explosion sociale promise depuis le début des grèves ait fait long feu. On doit également souligner qu’il est choquant de voir, comme d’ailleurs en 1995, que les jusqu’au boutistes de ces deux mouvements soient des privilégiés, pas le moins du monde concernés par les mesures gouvernementales annoncées (SNCF, RATP en particulier). À sept ans de distance, le même scénario se répète avec, en plus, la radicalisation des collectifs d’extrême gauche et les opérations coup de poing destinées à prendre en otages, non plus seulement les usagers, mais les syndicats eux-mêmes.

En fait, une grande partie des problèmes actuels réside dans l’immense disparité existant entre les différents régimes de retraite et pas seulement, comme pourraient le croire certains, dans les différences entre le public et le privé.

Quelles solutions ?

Face aux méfaits, aux difficultés, aux coûts collectifs monstrueux de la retraite par répartition, comment s’en sortir ?

L’Etat peut difficilement corriger l’erreur historique de 1941 et rayer d'un trait de plume toute idée de répartition que récemment encore Raffarin se vantait d’avoir sauvé et qui constitue le fondement de la retraite dans notre pays (c'est même l'article 1er de la réforme Fillon).

Il n’y a pas davantage de solutions à attendre des organismes professionnels, faussement corporatifs et fictivement patronaux.

On ne peut pas davantage se tourner vers les fonctionnaires. Pourquoi ? Tout simplement parce que la Fonction Publique est, de longue date, totalement déresponsabilisée vis-à-vis du problème crucial des retraites tout simplement parce que ses pensions sont versées par le Trésor Public. Autant de dettes implicites vis-à-vis des autres systèmes de retraites que l’Etat français n’a jamais incorporé dans ses dettes ! L’Etat évalue sa dette à hauteur de 708 milliards d’euros vis-à-vis de ses seuls fonctionnaires, dette qui n’apparaît pas dans la comptabilité publique! Les autres retraites en sont même pas prises en compte, alors que l'État a imposé l'affiliation à tous les résidents Français ! Sacrée différence avec l’Italie où l'ensemble des retraites instaurées dans les années 1930 sont garanties par l’Etat et figurent dans les comptes, au travers de l'INPS.

En fait, le système français de retraites aurait pu être sauvé dans le cadre de la juillet 1994, qui prévoyait l’autonomie des branches et la responsabilisation des caisses de la sécurité sociale. Cette piste d'évolution a été hélas abandonnée dès le plan Juppé et les ordonnances Barrot de 1995-1996.

Aujourd’hui, à cause de cette non-prise de décision, personne ne sait qui est excédentaire ou déficitaire !

De plus, on parle maintenant de solidarité nationale alors que le cadre national n’existe plus et que la solidarité familiale est même devenue un gros mot pour beaucoup. La question est simple : l’épicier maghrébin du coin de la rue nous manifestera-t-il sa solidarité pour payer les retraites ? En fait, tout repose sur des postulats moraux que personne n’observe et ne respecte.

La solution au problème des retraites repose d’abord sur le retour à la responsabilité des individus, le retour au droit de la famille et à l’épargne personnelle et professionnelle. Revenir à des notions de responsabilités de famille, de droit de propriété ou encore de réhabilitation de l’épargne ne se concrétisera pas sans une remise en cause très dure de toute la culture de l’Etat-providence.

Le choix est simple entre une épargne patrimonialisée personnalisée et la collectivisation préconisée par Nikonoff, José Bové ou la CGT qui semblent perdre la main dans le conflit, ce qui est le côté positif de la crise actuelle.

De nombreux signes témoignent par ailleurs, depuis quelques temps, d’une montée en puissance inéluctable des fonds de pension, qu’il s’agisse de la loi Thomas (abrogée depuis), de la loi sur l’épargne retraite ou du développement de l’épargne retraite des Français. Ceci se retrouve d'ailleurs dans le titre V de la réforme.

Cependant, on pourrait craindre avec l’abrogation de la loi Thomas justement et un certain esprit ambiant, un risque de nationalisation de l’épargne patrimoniale. Mais Jean-Pierre Raffarin peut vraiment changer la donne.

Cependant on pouvait évoluer différemment et faire l’économie de la réforme Fillon qui ne crée pas les conditions d’une baisse réelle des charges des entreprises et ne sert à rien tel quel.

LES CHIFFRES CLÉS :

On compte aujourd’hui 44 retraités pour 100 actifs et 600 000 adultes atteignent 60 ans, chaque année. Ils seront 850 000, à partir de 2007.

Les plus de 85 ans étaient 400 000 en 1946. Ils dépassent aujourd’hui les 2 millions et seront 4,8 millions en 2050.

Si l’âge de départ à la retraite restait inchangé, on compterait 83 retraités pour 100 actifs en 2040.

Aujourd’hui, les dépenses de retraite représentent 11,6 % du produit intérieur brut. En indexant les pensions sur les prix, il faudrait que cette part grimpe à 15,6 %. En raison de l’augmentation des retraités, la pension moyenne passerait de 78 % du revenu moyen à 64%. Il faudrait consacrer 18 % de notre revenu national pour maintenir son niveau actuel.

GLOSSAIRE :

Actuariel : Le principe actuariel pose une stricte proportion entre montant des cotisations et celui des pensions. Le montant des rentes est calculé en fonction du montant des cotisations versées, des taux d’intérêt dont on bénéficié les placements faits avec ces sommes, des conditions économiques et de l’espérance de vie de la personne qui perçoit la rente au moment de la liquidation de la pension.

AGIRC : Association générale des institutions de retraite des cadres.

ARRCO : Associations des régimes de retraites complémentaires.

Capitalisation : Les systèmes de retraite financés en capitalisation sont ceux dans lesquels les cotisations du salarié (et de son employeur s’il en verse) sont placées, le produit de ces placements est versé sous forme de rentes à l’assuré au moment de sa retraité. On dit aussi que ces régimes de retraite sont préfinancés.

Contributivité : Lien entre les cotisations et les prestations.

Cotisations définies : Les systèmes de retraite à cotisations définies sont des systèmes dans lesquels seul le niveau des cotisations est précisé, celui des pensions étant calculé au moment du départ en retraite en fonction du montant des cotisations accumulées et des conditions économiques et démographiques au moment du départ en retraite.

Fonds de réserve : Fonds qui accumulent progressivement des réserves financières qui seront utilisées plus tard pour financer les retraites quand la situation démographique sera la plus tendue.

Prestations définies : Les systèmes de retraite à prestations définies sont des systèmes dans lesquels le niveau de la pension est défini à l’avance, le plus souvent par un taux de remplacement du salaire.

Ratio de dépendance démographique : Nombre de personnes en âge de la retraite par rapport au nombre de personnes en âge de travailler.

Réformes paramétriques : Réformes qui ne font que modifier les règles du calcul du montant des retraites : taux de remplacement, salaire de référence, mode d’indexation. S’oppose aux réformes structurelles ou paradigmatiques qui changent l’esprit et les institutions des systèmes de retraite.

Répartition : Les systèmes de retraite financés par répartition sont ceux dans lesquels les cotisants actuels financent les pensions actuelles, les cotisants actuels comptant sur les cotisants futurs pour payer leur propre pension.

Revalorisation des pensions : Augmentation (le plus souvent annuelle ou bi-annuelle) du montant des pensions décidées par les autorités en charge du système de retraite. Cette revalorisation peut être indexée (calquée) sur l’augmentation des salaires bruts ou nets ou bien des prix.

Taux d’emploi : part de la population en âge de travailler (15-64 ans pour les données européennes) qui occupe effectivement un emploi.

Taux de remplacement : Montant de la pension par rapport au montant du salaire utilisé comme référence pour le calcul de celle-ci.
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